L’actu

Catégorie : Lobbying

Les VTC sont-ils victimes d’Uber ?

Le médiateur nommé par le gouvernement dans la crise entre taxis et VTC a rendu ses conclusions et certaines ne manquent pas de surprendre. Dans cette affaire, on peut s’interroger sur le bénéfice que tire le géant Uber de s’associer avec des start-up françaises dont les pratiques sont pourtant incomparables avec les siennes.

Le député socialiste Laurent Grandguillaume dresse dans son rapport une perspective qui consisterait à rapprocher au maximum les taxis et les VTC plutôt que de les différencier. Une conclusion surprenante et qui semble assez éloignée des habitudes de consommation ainsi que des offres spécifiques que chaque profession est en passe de créer. Cette proposition présente néanmoins un avantage certain, elle permet de « vendre » l’idée d’un dédommagement qui serait versé aux taxis pour la perte de valeur de leur licence du fait de l’arrivée des VTC, ce dédommagement serait financé par un fonds lui-même abondé par une… taxe payée par les clients de VTC.

Ce fonds, tel qu’il est présenté à ce stade, laisse plusieurs questions en suspend, dont une essentielle : comment seront indemnisés les taxis qui partent à la retraite et qui sont détenteurs d’une licence obtenue gratuitement après une attente de dix ou quinze ans ? Celle-ci vaut en moyenne 160.000 euros, le nouveau dispositif ramènerait cette valeur à zéro sauf à envisager qu’elle fasse également l’objet d’une prise en charge par le fonds…

Côté VTC, les conclusions sont nettement moins favorables, il est proposé de renforcer les contrôles notamment à l’égard des Loti (qui dispose d’une licence pour transporter au moins deux personnes) et de doter les VTC et Loti d’une signalétique inamovible (un peu comme les taxis). On retrouve donc l’idée de rapprocher au maximum les deux professions.

Les VTC souffrent de l’image et des méthodes musclées d’Uber et les sociétés françaises qui se sont créées dans l’ombre du géant américain sans faire preuve d’autant d’agressivité seront tout autant pénalisées. Cette situation est assez incompréhensible. Elle est due en grande partie au choix de certaines sociétés de s’allier avec Uber pour négocier avec les pouvoirs publics et au laissez-faire des autres qui ne se sont pas préoccupées plus que cela de la situation.

Le résultat est désastreux pour des centaines de petits patrons qui avaient créés leur société pour travailler avec le statut VTC ou Loti et qui voient leurs ambitions revues à la baisse. En ce qui concerne les plateformes qui souhaitaient se différencier d’Uber, que ce soit par la nature du service qu’elles apportent ou la niche qu’elles ambitionnent d’occuper, il y a également un risque sérieux pour que leur modèle économique s’en trouve remis en question.

Les plateformes sont victimes de leur manque d’implication dans leurs actions de lobbying. À trop vouloir agir dans l’ombre du géant américain, elles ont pris le risque de se faner.

Entrepreneurs, positivez ! 

Les entrepreneurs sont des Français comme les autres : ils en ont assez des promesses électorales non tenues et de ce millefeuille règlementaire qui étouffe leur créativité. Le risque est grand de les voir se désintéresser de l’élection présidentielle de 2017, par dépit, par lassitude de cet éternel recommencement des campagnes électorales qui portent leur lot d’espoirs déçus. Ils ont tort, 2017 pourrait marquer une réelle rupture.

La primaire de la droite et du centre qui semble s’imposer tant chez les militants que chez celles et ceux qui se reconnaissent dans ses valeurs, est en elle-même une rupture avec le passé. Elle aurait été inimaginable à droite il y a cinq ans. Aujourd’hui, elle apparait nécessaire voire indispensable. D’ailleurs, les sondages laissent entrevoir une volonté de renouveau sinon par l’âge, au moins dans la posture du candidat et du président que les sondés souhaitent pour leur pays.

Du côté de la gauche, les tensions internes entre les tenants d’une gauche ancrée dans le passé et les réformistes laissent également entrevoir une nouvelle façon d’envisager la réforme et, surtout, le monde de l’entreprise.

Car le centre de gravité de cette campagne s’annonce bien être l’économie. La sécurité est un sujet qui semble réglé puisque tous les candidats, sous la pression des attentats, se sont ralliés à une approche plus pragmatique de la demande de sécurité. L’économie est bien l’enjeu qui clive encore nettement la droite et la gauche.

Les candidats à la primaire de la droite et du centre annoncent des réformes ambitieuses pour ne pas dire radicales, peut-être trop pour certaines d’entre elles. Quant au gouvernement, il se lance à corps perdu depuis un an dans des annonces et des réformes censées le réconcilier avec le monde de l’économie, peut-être trop tardivement mais le tournant est bien là.

Alors oui, il est temps pour les entrepreneurs de participer au débat, de défendre des idées de réformes qui puissent être mises en oeuvre rapidement. Il faut se remettre en marche, positiver et travailler pour que les enjeux de l’entreprise soient enfin compris de dirigeants politiques trop longtemps déconnectés des réalités économiques, notamment des PME et TPE.

Mathieu Quétel, président de Sountsou

Auteur de la Collection Les Cahiers Experts, le nouveau numéro « Présidentielle 2017 : 10 conseils pratiques pour faire entendre la voix des entrepreneurs » est disponible en téléchargement ici.

Le lobbying, outil démocratique

La Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) vient de publier une note intitulée « lobbying, outil démocratique » qui permet de mieux cerner les contours du lobbying et qui pose quelques pistes de réformes, dont certaines sont déjà reprises dans le projet de loi Sapin 2 sur la transparence de la vie économique. Entretien avec l’auteur de cette note Anthony Escurat.

Sountsou : D’où vient votre intérêt pour le lobbying ?

Anthony Escurat : Féru de politique, j’ai découvert le lobbying lors de mes études à Sciences-Po Aix. Nous étudions en fait les processus de décision et, plus largement, l’élaboration de la norme. Je me suis dès lors passionné pour ce côté certes un tantinet austère de la science politique mais pourtant ô combien important. J’y ai découvert, à travers de nombreux travaux scientifiques tout d’abord (Offerlé, Grossman, Saurugger, Attarça, Rival, etc.), qu’il existait autour des acteurs publics pléthore d’autres protagonistes parties prenantes de la fabrication de la loi et dont l’influence était bien souvent aussi méconnue que substantielle. J’ai aussi constaté que l’État était lui-même un grand lobbyiste (à travers les études réalisées par Cornelia Woll notamment). Enfin, dans le cadre de mes fonctions professionnelles, j’ai actuellement la chance d’avoir pu passer de l’autre côté de la barrière et mener à mon tour des actions de lobbying.

Bien qu’il demeure un véritable tabou en France, le lobbying constitue pour autant un traceur de la décision publique, inhérent à la démocratie. Je considère qu’il est indispensable de le réguler davantage mais aussi de le démystifier afin de mettre un point final aux fantasmes qui l’entourent.

– Vous dressez quelques pistes dans votre note pour la Fondapol pour une réforme du lobbying en France, pouvez-vous nous les résumer ?

Il est tout d’abord intéressant de battre en brèche une idée assez largement répandue dans l’inconscient collectif : les pays où la présence des lobbyistes est la plus importante sont généralement ceux disposant des cadres juridiques à la fois les plus anciens et les plus contraignants.

Ainsi, les États-Unis, temples du lobbying, sont le premier pays au monde à avoir réglementé les activités d’influence à la fin des années 1940, et font aujourd’hui encore référence en la matière. Le Canada, le Royaume-Uni, l’Irlande mais aussi l’Union européenne ne sont pas en reste et ont développé ces dernières décennies des arsenaux réglementaires importants.

En dépit de quelques avancées ces dernières années, le cadre réglementaire français reste quant à lui très lacunaire. En encadrant uniquement le jeu parlementaire, ces règles font abstraction des autres lieux de pouvoir autour desquels gravitent les lobbies : cabinets ministériels, administrations centrales et autorités administratives indépendantes au niveau national, ainsi que, sur le plan local, services déconcentrés de l’État et collectivités territoriales notamment.

Les enjeux ne sont pourtant pas minces puisque – certes à des degrés variables – le lobbying y est omniprésent. Des études ont en effet démontré que les lobbyistes français ne passeraient pas plus de 30% de leur temps au Parlement. La réglementation des arènes politiques auxquels les représentants d’intérêt consacrent les 70% restants – soit la majorité de leur activité – reste donc encore largement à écrire.

En quelques lignes, je propose dès lors de charger la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) d’une mission de contrôle et de surveillance du lobbying et, sur le modèle québécois, de nommer en son sein un vice-président dédié. L’objectif est simple : renforcer la transparence dans les relations entre représentants d’intérêt et titulaires de charge publique (élus et hauts fonctionnaires) et permettre à la Haute Autorité, en tant qu’organe désormais référent en la matière, de prendre des sanctions le cas échéant envers les acteurs publics et privés parties prenantes.

Ensuite, il convient d’étendre l’ « empreinte normative » mise en place par l’Assemblée nationale au Sénat ainsi qu’au gouvernement. Cela se traduirait par la création d’un registre des lobbyistes, la mise en place d’un code éthique et d’un règlement intérieur pour l’ensemble des cabinets ministériels mais aussi pour les autorités administratives indépendantes ainsi que certaines directions des administrations centrales des ministères. Idem pour les services déconcentrés de l’État dans nos territoires ainsi que les collectivités territoriales, véritables « no man’s réglementaires » actuellement.

Enfin, du côté des lobbies, je propose notamment sur le modèle des dispositifs mis en place par la Commission européenne et les États-Unis, d’imposer aux représentants d’intérêt accrédités auprès des différentes institutions publiques de déclarer de bonne foi les dépenses engagées pour leurs activités d’influence, tous types de financements publics perçus ainsi que, dans le cadre de cabinets spécialisés, la liste des clients pour lesquels ils opèrent.

– Selon vous pourquoi le lobbying souffre-t-il d’une mauvaise image en France au contraire des pays anglo-saxons ?

La mauvaise image accolée au lobbying en France est très ancienne. À la différence de l’approche anglo-saxonne, la France demeure encore aujourd’hui extrêmement rétive à la participation des lobbies dans la fabrication de la loi et la définition du bien commun. Selon la conception tricolore, seuls les élus – uniques récipiendaires de l’onction démocratique – en constituent les dépositaires légitimes, s’arrogeant au côté de l’État le monopole de l’intérêt général.

Cette aversion franco-française pour le lobbying est le fruit d’un héritage historique et politique ancien et encore très ancré dans nos esprits. Influencée par la vision de Jean-Jacques Rousseau et déjà vivace au Moyen-Age, la conception hexagonale voit dans les associations d’individus un danger pour la démocratie ; la manifestation des intérêts particuliers dans le processus décisionnel étant perçue comme une entrave à l’intérêt général susceptible, en outre, d’agir concurremment à la puissance publique. Un crime de lèse-démocratie dans l’Hexagone !

Rappelons néanmoins qu’à l’origine les pays anglo-saxons et la France partageaient une même défiance à l’égard du lobbying ; une pratique présumée coupable d’altérer la bonne marche de la démocratie. Mais contrairement aux Français avec lesquels ils partagent cette défiance originelle, les Anglo-saxons ont rapidement décidé de faire de cette menace une opportunité en intégrant les groupes d’intérêt au cœur du système démocratique. De cette approche pragmatique a alors émergé une véritable doctrine de gouvernance qui favorise l’expression de la diversité de la société civile tout en permettant, parallèlement, à l’État de se délester du monopole de la définition du bien commun. Le lobbying constitue dès lors un mode de représentation légitime des intérêts particuliers pour les Anglo-saxons.

Ce qui est frappant dans les premières lignes du projet de loi « Sapin II », c’est que le lobbying n’y est absolument pas défini et qu’il demeure manifestement frappé du sceau de la suspicion. La vieille tradition française semble donc fortement enracinée. Il est temps de faire évoluer les esprits et de comprendre que le lobbying – s’il est régulé bien entendu – n’a rien d’infamant et qu’au-delà de ça il est consubstantiel à la démocratie.

Biographie :

Anthony Escurat est diplômé de Novancia, de l’Université Lyon 3 puis de Sciences Po Aix. Il a effectué différents stages à l’ambassade de France en Algérie, à la présidence de la République ainsi qu’à l’OCDE. Après avoir travaillé au sein des groupes Mazars et CMA CGM, il est désormais responsable de la communication et des relations institutionnelles d’un syndicat professionnel et, en parallèle, doctorant en science politique à Sciences Po Aix. Il écrit également régulièrement des articles à caractère économique et politique dans différents médias (Les Échos.fr, Le Figaro.fr, La Tribune, Atlantico, Le Temps, Le Quotidien d’Oran…). Passionné par le continent africain et le monde arabe, il a vécu trois ans à Alger et a travaillé dans l’humanitaire au Ghana et au Togo.

Lobbying : quelles différences entre taxis londoniens et parisiens ? 

Les visiteurs de Londres connaissent déjà les différences de services entre les taxis parisiens et londoniens : véhicules spécifiques, confortables, reconnaissables, pratiques etc. À Londres comme dans de nombreux autres pays les taxis se plaignent d’Uber et manifestent leur colère mais avec de nombreuses spécificités par rapport à Paris. 

Les VTC ont explosé à Londres. Ils représenteraient environ 100.000 chauffeurs contre 25.000 taxis. Ces derniers se sentent clairement menacés et leur syndicat demandent des aménagements règlementaires afin de lutter contre le développement des VTC dont ils estiment la concurrence déloyale.

À Londres, les VTC représenteraient près de 10% de la circulation, c’est dire l’importance de cette profession en terme de services à la population et, sans doute, dans la lutte contre le chômage. Les autorités prévoyaient de leur imposer un délai de 5 minutes entre la réservation et la prise en charge effective du client mais l’intelligente campagne de lobbying de Uber a eu raison de cette initiative. Un nouveau projet vise à les priver de leur exemption du droit de péage de 11,50 €.

Dans Le Figaro Magazine de cette semaine on découvre avec étonnement les photos de la dernière grève et manifestation des taxis londoniens : on cherche désespérément les véhicules retournés, calcinés, les pancartes avec les insultes à destination des VTC et du gouvernement, les CRS en armes et les passagers pris en otage. Rien de tout cela, simplement des centaines de taxis noirs qui sont en arrêt et bloquent l’accès à la ville. Des chauffeurs souriants sont mollement encadrés par quelques policiers flegmatiques et confiants. La manifestation a duré deux heures.

Une façon mature de faire entendre sa voix dans la rue en prenant soin de ne pas gêner le reste de la population. Des images inimaginables en France, tant la violence semble faire partie de notre quotidien dans ce lobbying de rue qui se généralise et marque, bien souvent, l’incapacité des politiques à prendre en charge le désarroi de certaines professions suffisamment en amont.

Le lobbying enfin reconnu 

Cet article de Mathieu Quétel, président de Sountsou, a été publié dans la Revue de Management et de Stratégie.

Le vaste projet de loi en préparation à Bercy sur la transparence de la vie économique et la lutte contre la corruption vise à insuffler transparence et bonnes pratiques dans le métier de lobbyiste. On ne peut que se féliciter d’une telle initiative.

Un outil au service des entreprises

Le lobbying suscite trop souvent une forte réserve alors qu’il constitue un élément essentiel à la fois du débat démocratique et de l’entreprise. Le monde économique a besoin d’être compris du politique, il doit pour cela mieux communiquer avec les décideurs politiques et leur donner les informations utiles à la prise de décision. Pour être efficace, il est essentiel que chacun sache d’où parle l’autre et quels sont les intérêts qu’il défend. En ce sens, l’existence d’un registre obligatoire présente un intérêt certain.

Bonnes pratiques et registre obligatoire

Les bonnes pratiques préconisées par le projet de loi dessinent un paysage actuel encore largement traversé par des méthodes qui relèvent du « lobbying à la papa ». Ainsi les lobbyistes auront ils désormais l’obligation de dévoiler l’identité de leur client, de s’abstenir d’offrir des cadeaux de valeur significative, de fournir des informations trompeuses, de revendre à des tiers des documents du gouvernement, d’organiser des colloques avec des prises de paroles rémunérées dans des bâtiments administratifs…

Le registre national obligatoire concernera tous les représentants d’intérêts qui souhaitent entrer en contact avec des représentants du gouvernement, leur cabinet, les autorités indépendantes ou encore certains hauts fonctionnaires. Il ressemblera à ce qui existe déjà au Sénat et à l’Assemblée Nationale, mais ceux-ci ne sont pas obligatoires. Pour le moment les associations cultuelles et les partenaires sociaux seront exemptés.

Le dispositif sera placé sous le contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) qui aura le pouvoir de sanctionner les dérapages déontologiques par des sanctions assez symboliques comme des mises en demeure ou des amendes pouvant atteindre 30.000 €.

Vers une reconnaissance du lobbying

De nombreux entrepreneurs confrontés à leur méconnaissance du monde politique ainsi qu’à la mauvaise image des lobbyistes, hésitent encore à se lancer dans une démarche institutionnelle. Ils n’ont pas encore pris conscience que celle-ci s’impose au même titre que la présence à leur côté d’un expert comptable, d’un service de R&D ou encore de communication.

Le lobbying est un véritable outil au service du dirigeant qui lui permet de mieux appréhender son environnement institutionnel au sens large et d’interagir avec lui. Tout entrepreneur, dont l’activité dépend de la décision publique, devrait adopter une réelle démarche adaptée basée sur une véritable stratégie.

Gageons que ce projet de loi, défendu par Michel Sapin, qui devrait être présenté le 23 mars en Conseil des ministres participera à la prise de conscience collective de l’urgence qu’il y a pour le monde économique à entrer positivement en contact avec les décideurs politiques.

Mathieu Quétel, président de Sountsou (en savoir + www.sountsou.fr)