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Catégorie : Édito

Lobbying et entreprise, le malentendu

Le lobbying est presque devenu un « gros mot » y compris pour celles qui en ont le plus besoin, les entreprises. Or, le lobbying est un outil comme un autre à disposition du chef d’entreprise pour faire entendre ses positions et créer de la valeur.

Peu d’entreprises intègrent dans leur stratégie les relations institutionnelles qui sont pourtant essentielles dans l’approche des marchés. Encore appelées affaires publiques ou lobbying, elles sont trop souvent assimilées à une forme de trafic d’influence ou de manipulation des élus. Certes, des mauvais comportements ont été dénoncés au fil des ans, mais ils ne doivent pas remettre en question l’utilité et l’intérêt de la démarche institutionnelle pour l’entreprise. Il ne s’agit, ni plus moins, que d’expliquer les objectifs de celle-ci, ses besoins en ce qui concerne les règlements en vigueur voire simplement de se faire connaitre.

La défiance à l’égard du monde politique ne plaide pas en faveur de l’initiation d’une démarche « affaires publiques » au sein des entreprises. Les chefs d’entreprise sont assez éloignés de la sphère publique qu’ils voient souvent comme un « mal » nécessaire mais certainement pas comme un partenaire possible. Ils ont donc du mal à percevoir l’intérêt d’entrer en contact avec les décideurs politiques, même quand leurs intérêts sont en jeu !

De leur côté, les élus ont été échaudés par des comportements parfois arrogants et agressifs de certaines entreprises dans leur approche. Il existe encore trop d’opérations de lobbying conçues comme de véritables assauts de l’Assemblée Nationale et du Sénat avec des mailings en série, des volées d’amendements pré-écrits, quand ces opérations ne se cachent pas derrière de pseudos colloques ou clubs parlementaires dont l’unique objectif est de « monnayer » du contact.

C’est ainsi, qu’au fil du temps, une forme de malentendu s’est installé entre les élus et les entreprises. Les bonnes pratiques commencent à s’installer des deux côtés, mais cela prend du temps.

Pourtant, les parlementaires et les élus en général sont demandeurs de contacts directs avec les acteurs économiques, créateurs de richesses et d’emplois, à condition que ces échanges se déroulent en transparence. En effet, les élus ont besoin de comprendre à la fois le fonctionnement de l’entreprise et ses enjeux. Être absent de ce débat peut se révéler très coûteux pour le chef d’entreprise.

Mathieu Quétel, président de Sountsou

Radio France, l’État incapable de gérer ses entreprises

Radio France vit une crise financière et sociale profonde qui, outre les incontestables manquements internes, montre les limites de l’État actionnaire.

Les révélations du Canard Enchaîné du 18 mars, sur les travaux de rénovation du bureau du PDG, ont soudainement placé sur le devant de la scène, la crise financière que traverse Radio France. Les tensions internes, trop longtemps contenues, ont alors violemment éclaté au grand jour. Les salariés n’en peuvent plus d’attendre, sans connaître l’avenir de leur Maison. Une grève reconductible et illimitée est alors votée dans l’espoir d’obtenir enfin les réponses à leurs questions autrement que par voie de presse.

Des réponses, Radio France en a besoin, rapidement. Le service public de la radio devrait connaître en 2015 le premier déficit de son histoire à plus de 20 millions d’euros, en 2019 ce sont 50 millions d’euros de pertes qui sont attendus si aucune réforme n’est engagée.

Mais ce n’est pas tout. Radio France s’est lancée dans un titanesque chantier de rénovation de ses locaux il y a près de 10 ans, le coût de ces travaux frôle aujourd’hui les 600 millions d’euros, contre une estimation desdits travaux à 174 millions d’euros en 2004… Dans son rapport de 2014 sur Radio France, la députée Martine Martinel estimait que les surcoûts étaient dus pour deux tiers à des décisions de l’entreprise.

Concomitamment, alors que les entreprises audiovisuelles privées se réformaient, en passant souvent par de drastiques plans d’économies, Radio France s’exonérait de toute réforme. Son dernier PDG, Jean-Luc Hees se vantant même, au moment de son départ, d’avoir réussi l’exploit de préserver l’entreprise de toute remise en question, notamment en ce qui concerne ses salariés.

Dans ce contexte, l’État a encore alourdit la barque en ne versant pas l’intégralité des sommes budgétisées pour Radio France et souhaite encore réduire la voilure  pour les années à venir tout en demandant à son PDG de ne pas créer de vague…

Le Canard Enchainé du 25 mars en rajoute en révélant que Mathieu Gallet aurait pris pour son seul service un conseiller en communication pour 90.000 € annuels alors que Radio France dispose bien évidemment d’un service communication compétent. Une succession d’erreurs, certes choquantes dans une situation de crise profonde, mais tout de même loin des 500 millions d’euros d’explosion du budget de rénovation de son entreprise !

Ce qui s’apparente à un gâchis est frappant à plus d’un titre. Mathieu Gallet, a été nommé par le CSA en avril 2014, il semble n’avoir découvert l’ampleur de la catastrophe que récemment, ce qui tend à démontrer de multiples dysfonctionnements à différents niveaux de la hiérarchie et de l’État.  Ses échanges avec le gouvernement se déroulent visiblement dans un climat de défiance et il apparait peu soutenu quand sa tutelle devrait, au contraire, se mobiliser à ses côtés. En arrière plan, on perçoit des petits calculs politiciens avec en toile de fond la désignation prochaine par le CSA du PDG de France Télévision, affaiblir Mathieu Gallet, revient à affaiblir le CSA qui l’a nommé… En application d’une loi voulue par la nouvelle majorité et votée en 2013.

Le service public de la radio semble pris dans une nasse. Un État inconséquent, un PDG peut-être insuffisamment « charpenté » pour gérer une entreprise de cette taille et de cette complexité, un climat social tendu, des calculs politiques déplacés… La Cour des comptes devrait en outre publier dans les prochains jours un rapport, annoncé comme très sévère, sur la gestion passée de Radio France.

Il n’en reste pas moins que Mathieu Gallet, arrivé il y a moins d’un an, ne peut être tenu pour responsable de la dérive incontrôlée dont a été victime Radio France depuis de nombreuses années. L’État devrait assumer ses responsabilités.

Mathieu Quétel, président de Sountsou

Les syndicats patronaux chahutés par leurs bases

Le mouvement de désintérêt voire de suspicion pour le politique touche également les syndicats patronaux qui doivent faire face à la colère de leurs adhérents notamment en province.

La récente manifestation anti RSI qui a réunit 7000 personnes a permis au ras-le-bol des petits patrons de s’exprimer dans la rue. On pouvait lire sur certaines banderoles des revendications agressives et radicales qui apparaissent en rupture avec le mode de communication traditionnel des patrons. Les manifestants ne se montraient, du reste, pas très accueillants pour la CGPME ou l’UPA à qui ils reprochent une forme de « mollesse » sur le sujet.

Hervé Lambel, candidat malheureux à la présidence du MEDEF, ne dit pas autre chose. Il reproche aux représentants patronaux, MEDEF et CGPME, de s’être institutionnalisés et d’oublier de défendre les intérêts de leurs mandants au profit des revenus de leurs syndicats, issus selon lui principalement de subventions publiques diverses. C’est donc tout un système qui est en cause, selon lui.

Cette dénonciation des représentants patronaux élus, s’apparente à la désaffection pour le politique et plus largement à la condamnation d’un « système » au sein duquel « l’entre soi » fonctionnerait à plein régime laissant de côté les préoccupations de ceux qui ne font pas partie du cercle, principalement les TPE et PME. En clair, les syndicats patronaux s’entendraient avec les gouvernements, parfois au détriment des intérêts de leurs adhérents.

Si l’analyse n’est pas forcément totalement fausse, sa conséquence qui aboutit à une joyeuse généralisation est dangereuse, y compris pour les entreprises. En effet, les entrepreneurs ont besoin de peser sur les décisions publiques et si leurs organisations comportent sans doute des imperfections, elles permettent également de faire avancer les choses. Cette tendance au rejet de l’institution n’est pas nouveau, il doit alerter les représentants patronaux.

Les manifestations de rue organisées en décembre 2014 par la CGPME pour crier le ras-le-bol des TPE et PME étaient sans doute motivées par la colère de sa base qui ne se sentait pas suffisamment écoutée. Il s’agissait de « lâcher un peu de pression » et d’organiser une mobilisation hors des codes traditionnels. Ce fut un incontestable succès.

Il est normal que les adhérents d’une organisation syndicale soient plus radicaux que leurs représentants, ceux-ci ont pour mission de négocier et de trouver des chemins d’accord avec les représentants politiques. Les syndicats patronaux mais également les fédérations professionnelles doivent intégrer dans leur fonctionnement interne la nécessité de mieux communiquer et d’expliquer leurs décisions et positions.

En ces temps de crise, la communication interne est un enjeu stratégique pour les organisations patronales. Elles doivent, certes rester à l’écoute de leurs mandants, mais également expliquer les difficultés de la négociation sociale et institutionnelle. Le récent échec de la négociation autour de la modernisation du dialogue social met en exergue la complexité des intérêts à défendre et des jeux de chacun.

De leur côté, les politiques doivent tenir compte de ces bases, certes plus radicales, mais qui représentent également l’incontournable réalité du terrain. Cette prise en compte ne saurait se limiter à de la communication ou à quelques manifestations de rue. Les revendications sont plus profondes et plus exigeantes. Les politiques seraient également bien inspirés de respecter pleinement les organisations syndicales et leur indépendance. Les manoeuvres autour de l’élection à la présidence de l’UIMM furent bien inutiles puisque les adhérents ont plébiscité au final l’indépendance.

Mathieu Quétel, président de Sountsou

L’entreprise toujours incomprise et clivante

Les récentes péripéties de la loi Macron ont montré, une fois de plus, à quel point le monde de l’entreprise reste à la fois incompris et clivant pour certains élus.

La loi Macron a créé une véritable crise au sein de la majorité au prétexte qu’elle envisage l’entreprise avec une vision plus positive et permet un desserrement de contraintes qui apparaissent aussi dépassées que dangereuses. Les frondeurs ont trouvé dans les 200 articles de ce projet de loi, malgré les 1000 amendements adoptés, matière à polémique et surtout à blocage. Ce texte était à leurs yeux si dangereux qu’il méritait de mettre à mal la majorité à quelques jours d’une échéance électorale dont l’issue s’annonçait déjà incertaine. Pourquoi ?

Globalement, l’entreprise reste incomprise de certains élus. Pire, elle est utilisée comme marqueur de la « vraie » gauche, même si ce calcul politicien doit aboutir à de la casse économique. En effet, favoriser les idées reçues et les à priori vis à vis des entreprises ne pose aucun problème. Ils ne se sentent pas concernés par les emplois détruits par des étages de lois liberticides qui ne cessent d’imposer à celles et ceux qui entreprennent, toujours plus de contraintes. Qu’une forme de paupérisation ronge les artisans et les petits-commerçants n’est absolument pas intéressant aux yeux de ces élus qui sont porteurs d’une idéologie pure et qui se posent en garants du respect d’engagements électoraux déjà périmés au moment où ils étaient exprimés…

Qu’on se rassure, la droite n’a pas été plus brillante lors des débats. Elle a vainement tenté de nous démontrer que la Loi Macron n’allant pas assez loin, même si le sens était bon, il était donc impossible de la voter. Impossible, surtout, de donner le sentiment de participer à un texte porté par la majorité et ainsi de conforter l’idée de l’existence d’un UMPS… Petit calcul politicien encore.

Pourtant, lors de l’émission « Des paroles et des actes » consacrée, le 12 mars, à Emmanuel Macron, l’échange entre le ministre et le député UMP Benoist Apparu a été d’un bon niveau. On cherche toujours les vraies dissensions sur les sujets économiques entre les deux hommes.

Le monde économique a besoin de stabilité. Il a également besoin de règles claires et partagées par tous. La révolution numérique déconnecte chaque jour un peu plus la France de la réalité de la compétition mondiale. Les beaux concepts tels que la French Tech ne peuvent cacher une situation qui devient dangereuse pour nos entreprises. Quelle que soit leur taille.

Alors, on peut espérer qu’un consensus puisse se construire autour de l’entreprise entre « gens raisonnables et pragmatiques », c’est l’intérêt de la France.

Mathieu Quétel, président de Sountsou

L’abstention : le premier parti de France ?

Le premier tour des Départementales approche et les déclarations des responsables politiques ont tendance à se cristalliser autour du très bon score annoncé du Front National (voir nos articles précédents sur ce sujet), ils feignent d’ignorer le taux record d’abstention également prévu par les sondages, ont ils raison ?

Ces derniers jours, une avalanche de phrases chocs au sujet du poids probable du FN lors des élections des 22 et 29 mars s’est abattue sur les médias. Du « FNPS » au « tract ambulant », en passant par « l’arrachage des électeurs au FN », « l’angoisse » ou le souhait de « stigmatisation », tout est bon pour susciter la polémique et cela fonctionne. Ces sorties musclées, qui frôlent parfois le dérapage pas très contrôlé, ne laissent elles pas transparaitre une forme de désarroi  face aux électeurs du FN ? En tout cas,  le manque d’intérêt des partis à l’égard des 57% de Français qui ne souhaitent pas se déplacer vers les urnes ne peut que surprendre.

L’UMP prête au PS et au président de la République la tactique qui consisterait à tout faire pour valoriser le FN afin d’aplatir au maximum le score de la droite aux prochaines élections avec un objectif ultime bien entendu : que François Hollande soit au second tour de la présidentielle de 2017 face à Marine Le Pen. Admettons cette analyse courte et caricaturale qui, au moins, apporte une réponse à l’attitude du PS.

Mais quel est l’intérêt pour l’UMP d’ignorer ainsi le réservoir de voix que constituent les 57% annoncés d’abstentionnistes ?

Il est vrai que, traditionnellement, il est observé que les abstentionnistes, lorsqu’ils se déplacent aux urnes, votent comme les autres, donc ils ne feraient pas vraiment bouger les curseurs. Et si ce comportement était en train d’évoluer ?

Les motivations des abstentionnistes sont multiples et difficiles à cerner avec précision. Globalement, il y a un mécontentement à l’égard des partis et des responsables politiques, on peut également admettre que le vent positif qui souffle sur le FN aurait tendance à sur-mobiliser ses électeurs. En conséquence, le réservoir des abstentionnistes comprendrait une grande part d’indécis ou de déçus profonds mais sans appétence pour les thèses défendues par Madame Le Pen.

Dans ce contexte, ces abstentionnistes sont à reconquérir par les partis traditionnels.

La tentative désespérée d’une partie de la droite de séduire cet électorat ne serait elle pas une erreur de stratégie ? Ne devrait elle pas s’intéresser en priorité à ces non-votants volontaires et assumés ? Ne sommes nous pas face à une évolution de notre système démocratique difficile à identifier et pour laquelle les réponses du passé ne suffisent plus ? En effet, nos sociétés sont chahutées par des crises profondes et durables. Nous vivons une révolution numérique que beaucoup refusent encore, nous traversons un passage d’une économie à une autre, une transformation profonde de nos sociétés et sans doute de notre vie démocratique.

Il est complexe de comprendre les nouveaux usages de nos concitoyens comme il est évidemment difficile de déceler leurs véritables attentes. Or, les partis ont tendance à considérer que leurs militants sont le reflet de la société. Ils sont pourtant de moins en moins nombreux et de moins en moins représentatifs du plus grand nombre.

Parmi les abstentionnistes, certains sont à reconquérir et pourraient être séduits par une nouvelle offre politique plus moderne, pragmatique et moins ancrée dans les schémas du passé, si proches et déjà si lointains. C’est l’enjeu principal des prochaines échéances électorales mais surtout de notre organisation démocratique de demain.

Mathieu Quétel, président de Sountsou