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Digital Mélenchon

Jean-Luc Mélenchon est de retour ! Le bateleur vient d’annoncer sa candidature pour la présidentielle de 2017 hors de toute primaire à gauche, hors du système… Toujours chouchou des médias qu’il adore détester, le voici lancé dans une course à l’Elysée qui passera par le numérique avec pour modèle le candidat aux primaires démocrates américaines Bernie Sanders. 

Ils ne le revendiquent pas forcément mais souvent les hommes politiques français s’inspirent des Etats-Unis dans leurs campagnes électorales. Il est de tradition d’évaluer entre deux ou cinq ans notre décalage avec les modes de consommation venus d’outre Atlantique. Xavier Bertrand s’est par exemple plus qu’inspiré de la troisième saison de la série Netflix « House of Cards » pour son slogan « Au travail ». Le président Underwood, incarné à l’écran par Kevin Spacey, avait défendu quelques mois auparavant son plan de reconquête « L’Amérique au travail ».

Si le concurrent d’Hillary Clinton a choisi « A futur to believe in », Jean-Luc Mélenchon un poil plus radical lance sur internet « La France insoumise » et revendique de s’adresser à ces citoyens « insoumis sociaux et lanceurs d’alerte » qu’il souhaite réunir pour gagner. Une ambition qui ne semble pas encore créer de véritable raz de marée mais il annonce déjà 60.000 personnes recrutés en quelques jours sur les réseaux sociaux.

Son site jlm2017.fr s’appuie sur la plateforme collaborative utilisée en ce moment même par Bernie Sanders et le candidat issu du Front de Gauche espère bien que sa démarche permette de réunir les déçus des gauches françaises. Mais le fameux Nation Builder, c’est le nom du redoutable logiciel, a également été utilisé par Barack Obama pour conquérir la Maison Blanche.

Nation Builder est un outil très complet qui permet au candidat de gérer de façon centralisée toutes les données des différents sites et réseaux sociaux ainsi que les mises à jour et les outils statistiques indispensables à la gestion de sa campagne. Ce n’est sans doute pas un hasard si Alain Juppé a également investit dans ce logiciel et a même recruté une experte en la matière pour le piloter. Eve Zuckerman n’est certes âgée que de 25 ans mais elle a déjà fait partie de la campagne de Barack Obama et a travaillé à la ré-élection du maire de Chicago.

Jean-Luc Mélenchon adopte donc une démarche originale et une stratégie numérique ultra professionnelle. Les échecs successifs du Front de Gauche aux récentes élections, ainsi que la déchéance de nationalité ont achevé de le convaincre qu’il existait bien une place à prendre pour un iconoclaste de la gauche en vue de la présidentielle de 2017. Il n’oublie pas, également, que son excellente communication en 2012 lui avait permis d’animer la campagne présidentielle. Pour 2017, il mise sur la stratégie numérique pour se faire une place, il est fort possible qu’il surprenne plus d’un sceptique.

En tout cas cette incursion des méthodes américaines dans notre débat politique pourrait inspirer également des entreprises et fédérations professionnelles désireuses de peser sur les programmes en préparation. Les réseaux sociaux et le numérique sont désormais incontournables même si les médias traditionnels sont indispensables pour porter des idées. Une révolution est en marche…

Présidentielle : le comparateur de programmes 

La Fondation Ifrap et le magazine Le Point se sont associés pour lancer sur internet un comparateur des programmes des candidats à la primaire de la droite et du centre. Un outil intéressant et utile.

Le comparateur, mis en ligne par les deux partenaires, s’intéresse pour le moment aux principaux candidats de la primaire de la droite et du centre. Curieusement s’il inclut Nathalie Kosciusko-Morizet et Nicolas Sarkozy alors qu’ils n’ont pas déclaré leur candidature, le comparateur ignore Frédéric Lefebvre et Jean-Frédéric Poisson pourtant crédités d’autant d’intentions de votes qu’Hervé Mariton.

La lecture comparative des programmes des candidats à la primaire reste néanmoins instructive et elle permet de révéler les nombreuses convergences entre les candidats. Même si on note que Nicolas Sarkozy semble être resté dans les solutions proposées en 2012 sans prendre en considération les différentes évolutions intervenues en cinq ans. Néanmoins, l’ancien président n’a pas encore dévoilé l’ensemble de son programme, et pour cause, il n’est pas encore officiellement candidat…

Les baisses de dépenses revendiquées par les candidats ne sont pas encore renseignées et on attend avec impatience les détails de leurs programmes respectifs pour les évaluer avec plus de précisions. Néanmoins, on sent déjà une forme de radicalité dans la démarche réformiste chez certains d’entre eux dont on peut craindre qu’elle ne résistera pas à la confrontation avec la réalité de la gouvernance.

L’originalité de l’outil est qu’il peut être alimenté directement par les candidats à la primaire. Ainsi, il sera vraisemblablement enrichi au fur et à mesure de l’avancée de la campagne électorale et devrait constituer à terme une ressource documentaire intéressante tant pour le citoyen qui souhaite prendre part aux élections internes des 20 et 27 novembre qu’aux entrepreneurs soucieux de peser sur les programmes en cours de mise en place.

Le comparateur Ifrap-Le Point est consultable aux adresses www.lepoint.fr et www.ifrap.org

Les chiffres de la semaine

3270

Il reste encore 3270 zones rurales inaccessibles au téléphone et à l’internet mobiles, les fameuses zones blanches qui pourraient n’être qu’un mauvais souvenir d’ici quelques mois. Orange, SFR, Bouygues et Free ont obligation depuis le vote le 6 août de la loi « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » de connecter ses zones à leurs réseaux. Néanmoins, cette obligation nécessite des investissements lourds pour lesquels l’Etat mobilisera 80 millions d’Euros. 268 communes n’ont pas accès au téléphone mobile, 2200 autres communes ne sont pas connectées à l’internet et 800 sites d’activités économiques ou touristiques sont également identifiés comme exclus de l’accès au réseau mobile.

400

Il manquerait à la SNCF environ 400 conducteurs de trains, selon Cyrille Vaisonneau, l’un des secrétaires nationaux de la Fédération générale autonome des agents de conduite CFDT (FGAAC-CFDT), dans une interview au Parisien-Aujourd’hui En France daté du 24 février. Cette situation est la cause de la suppression de plusieurs trains, notamment dans les régions Nord-Pas-De-Calais-Picardie et Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Le coût est très important pour la SNCF, il serait de 750.000 € par mois pour les défraiements des  conducteurs mobilisés pour remplacer les absents et la compagnie doit également s’acquitter de lourdes pénalités auprès des régions qui subissent des retards répétés.

25.000

L’Unedic revoit ses prévisions en ce qui concerne la baisse du chômage, elle estime que le nombre de chômeurs de catégorie A (sans activité) devrait diminué de 25.000 en 2016 et de 26.000 en 2017. Cette petite amélioration serait donc loin de couvrir la hausse enregistrée en 2015 de 90.000 nouveaux chômeurs. L’Unedic prévoyait une baisse deux fois plus importante dans ses prévisions du mois d’octobre. La dégradation est essentiellement due à la prise en compte d’une croissance économique plus atone qu’attendue. Là encore, l’Unedic prévoit une croissance de 1,4% contre 1,5% initialement espérés. Suite logique, les comptes de l’Unedic devraient encore se dégrader pour atteindre à la fin de 2016 un déficit de 4,3 milliards d’Euros et une dette de 30 milliards.

300.000

La France accueillerait chaque année 300.000 travailleurs détachés, dont environ 80.000 ne seraient pas déclarés. Le gouvernement a donc signé une Convention nationale de lutte contre le travail illégal et les fraudes au détachement avec les organisations professionnelles du BTP . Une carte d’identité professionnelle du BTP est également entrée en vigueur le 23 février. Elle devrait permettre le statut de chaque travailleur sur un chantier. Les travailleurs détachés non déclarés constituent un enjeu important car ils perçoivent des salaires inférieurs au mic en contravention des règles européennes. La France et l’Allemagne souhaitent obtenir de Bruxelles de nouvelles règles plus contraignantes en ce qui concerne les travailleurs détachés, ils veulent limiter le détachement à deux ans après que le salariés aient travaillé au moins trois mois pour son employeurs dans son pays d’origine, ceci afin d’éviter les sociétés « boîtes aux lettres ».

1,6

La note pourrait être très salée pour Google… l’administration fiscale française a lancé depuis deux ans une enquête sur le géant américain et elle s’apprêterait à lui adresser un arriéré d’impôts de 1,6 milliards d’Euros. Google, comme de nombreux autres géants de l’internet (ou pas), a mis en place un système complexe qui consiste à faire transiter son chiffre d’affaires et ses bénéfices par l’Irlande avant de les envoyer dans les Bermudes où il n’est pas question de payer d’impôt sur les sociétés. Si ce redressement fiscal de 1,6 milliards était confirmé, il constituerait un record pour Google, qui aurait payé 200 millions d’arriérés en Italie et 171 millions au Royaume-Uni. La multinationale a été avisée de ce possible redressement français dès 2014, pour un montant évalué alors entre 500 millions et 1 milliard d’euros, et elle aurait provisionné une somme dans ses comptes. Si l’information était confirmée, il s’agirait d’une avancée majeure dans la chasse aux manipulations fiscales de grands groupes qui réussissent à se soustraire de leurs obligations fiscales dans de trop nombreux pays européens, ce qui constitue une perte pour les Etats ainsi qu’un atout concurrentiel énorme par rapport à leurs concurrents locaux et les acteurs de l’économie traditionnelle. Google plaide depuis de nombreuses années pour une simplification fiscale à un niveau mondial.

15

Martin Bouygues a profité de la présentation des résultats de son groupe pour annoncer ses souhaits en ce qui concerne le rachat de sa filiale Bouygues Telecom par Orange. L’industriel souhaiterait un accord avant la fin du trimestre en cours, soit la fin du mois de mars, il demande également 15% du capital d’Orange. Cette opération pourrait être mise en place par une augmentation de capital d’Orange entre 10 et 15%, suivie d’un rachat d’actions par Bouygues sur le marché. Ce rapprochement est d’une grande complexité, outre les questions de prix et de montage capitalistique et juridique entre Orange et Bouygues, elle impose également une négociation avec les autres acteurs du marché afin de gérer les problèmes de concurrence. Orange doit donc veiller à organiser des transferts de clientèle et d’actifs vers Free et SFR, dans des conditions acceptables pour les parties. Ensuite, l’accord sera soumis à l’Autorité de la concurrence, qui pourrait poser d’autres conditions à la réalisation de l’opération. Enfin, la question sociale sera observée avec attention par tous les protagonistes, notamment l’Etat, qui détient encore 21% du capital d’Orange et qui ne saurait accepter une casse sociale en cette période pré-électorale déjà agitée.

1000

Fin d’année 2015 en fanfare pour le géant de l’aéronautique Airbus qui a engrangé pour 1006 milliards de commandes. Ce carnet de commandes bien rempli représente 15 années de travail pour le géant européen, 10 années si l’on tient compte des ristournes qui seraient de l’ordre de 40% par rapport aux prix catalogue. Cette réussite repose en grande partie sur le succès du nouveau moyen-courrier l’A320neo. Le principal concurrent mondial d’Airbus, conserve néanmoins son avance sur les livraisons d’appareils. Il a livré 762 avions en 2015, soit 127 de plus qu’Airbus. Boeing transforme donc plus vite ses commandes en livraisons, son PDG a annoncé que sa cadence de production devrait être portée à 900 appareils par an d’ici 2020-2021.

6

« Back in the race » c’est le nom du plan de redressement assigné par Carlos Tavares en 2014 à PSA. Un plan bien nommé, puisque le groupe automobile vient d’annoncer qu’il avait atteint ses objectifs avec un an d’avance. Après trois années de pertes, PSA a renoué avec les bénéfices en 2015 en dégageant un résultat (part du groupe) de 899 millions. Il y a à peine deux ans, PSA apparaissait en quasi-faillite avec une faiblesse de trésorerie qui a failli le faire plonger, cette dernière a retrouver de belles couleurs puisque PSA a dégagé un cash flow de 6 milliards d’euros sur deux ans… Les salariés du groupe toucheront une prime de 2000 euros. Le groupe bénéficie de sa restructuration et de sa stratégie de remontée des prix, il profite également de la reprise du marché automobile. Mais PSA ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, Carlos Tavares présentera le 5 avril un nouveau plan baptisé « Push to pass ». Tout un programme.

82.200

Le régime des auto-entrepreneurs est un sujet de discorde au sein de Bercy. Emmanuel Macron souhaite tripler les seuils, c’est à dire les montants de chiffre d’affaires qui déclenchent le passage au régime commun. Ils sont actuellement fixés à 32.900 euros pour les activités de service et à 82.200 euros pour les activités de vente. Michel Sapin et l’administration de Bercy sont contre cette réforme qui coûterait cher en cotisations et impôts et, surtout, suscite la colère des artisans qui s’estiment déjà durement concurrencés par le statut des auto-entrepreneurs. Michel Sapin a donc annoncé sur LCP une voie médiane qui consisterait à permettre à l’auto-entrepreneur de dépasser les seuils pendant deux ans et à bénéficier de son régime à condition de ne pas dépasser chaque année le double du seuil de chiffre d’affaires. Ces dispositions devraient être contenues dans le projet de Loi Sapin 2 qui sera présenté le 23 mars en Conseil des ministres.

2

L’Insee confirme ce que chacun peut ressentir : le moral des ménages a de nouveau baissé en février perdant 2 points. Ce n’est pas une bonne nouvelle et l’Insee relève que « les ménages sont nettement moins nombreux qu’en janvier à considérer opportun de faire des achats importants », il s’inquiètent également de leur niveau de vie futur. Une situation inquiétante car la consommation intérieure est l’un des soutiens de la croissance attendue pour 2016. Néanmoins, ce nouvelle indice négatif ne fait que confirmer plusieurs autres indices de divers instituts nationaux ou internationaux qui s’attendent à une année 2016 assez morose pour l’économie française.

2

Le Mobile World Congress de Barcelone a permis aux constructeurs automobiles de rencontrer les acteurs du numérique et les véhicules du futur sont déjà en préparation.Volvo a ainsi dévoilé son véhicule sans clé, entièrement géré par smartphone. Le PDG de la marque sino-suédoise a expliqué que les technologies permettant ce type d’équipements étaient disponibles depuis un ou deux ans et que les annonces allaient se multiplier dans les prochains mois. Quant à Ford, outre l’intégration des systèmes Apple et Google dans ses véhicules, le constructeur américain a annoncé une évolution de son modèle économique vers les services grâce aux technologies embarquées. À l’instar de Seat qui présentait un système de paiement embarqué grâce à une palette d’empreinte digitale placée à côté du levier de vitesse afin de permettre au conducteur de payer son parking ou d’autres services, un outil développé en partenariat avec SAP. Les constructeurs travaillent tous, dans la discrétion, à l’évolution de leur modèle économique et de leur approche industrielle en intégrant des collaborateurs issus du numérique.

Entrepreneurs, positivez ! 

Les entrepreneurs sont des Français comme les autres : ils en ont assez des promesses électorales non tenues et de ce millefeuille règlementaire qui étouffe leur créativité. Le risque est grand de les voir se désintéresser de l’élection présidentielle de 2017, par dépit, par lassitude de cet éternel recommencement des campagnes électorales qui portent leur lot d’espoirs déçus. Ils ont tort, 2017 pourrait marquer une réelle rupture.

La primaire de la droite et du centre qui semble s’imposer tant chez les militants que chez celles et ceux qui se reconnaissent dans ses valeurs, est en elle-même une rupture avec le passé. Elle aurait été inimaginable à droite il y a cinq ans. Aujourd’hui, elle apparait nécessaire voire indispensable. D’ailleurs, les sondages laissent entrevoir une volonté de renouveau sinon par l’âge, au moins dans la posture du candidat et du président que les sondés souhaitent pour leur pays.

Du côté de la gauche, les tensions internes entre les tenants d’une gauche ancrée dans le passé et les réformistes laissent également entrevoir une nouvelle façon d’envisager la réforme et, surtout, le monde de l’entreprise.

Car le centre de gravité de cette campagne s’annonce bien être l’économie. La sécurité est un sujet qui semble réglé puisque tous les candidats, sous la pression des attentats, se sont ralliés à une approche plus pragmatique de la demande de sécurité. L’économie est bien l’enjeu qui clive encore nettement la droite et la gauche.

Les candidats à la primaire de la droite et du centre annoncent des réformes ambitieuses pour ne pas dire radicales, peut-être trop pour certaines d’entre elles. Quant au gouvernement, il se lance à corps perdu depuis un an dans des annonces et des réformes censées le réconcilier avec le monde de l’économie, peut-être trop tardivement mais le tournant est bien là.

Alors oui, il est temps pour les entrepreneurs de participer au débat, de défendre des idées de réformes qui puissent être mises en oeuvre rapidement. Il faut se remettre en marche, positiver et travailler pour que les enjeux de l’entreprise soient enfin compris de dirigeants politiques trop longtemps déconnectés des réalités économiques, notamment des PME et TPE.

Mathieu Quétel, président de Sountsou

Auteur de la Collection Les Cahiers Experts, le nouveau numéro « Présidentielle 2017 : 10 conseils pratiques pour faire entendre la voix des entrepreneurs » est disponible en téléchargement ici.

Le lobbying, outil démocratique

La Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) vient de publier une note intitulée « lobbying, outil démocratique » qui permet de mieux cerner les contours du lobbying et qui pose quelques pistes de réformes, dont certaines sont déjà reprises dans le projet de loi Sapin 2 sur la transparence de la vie économique. Entretien avec l’auteur de cette note Anthony Escurat.

Sountsou : D’où vient votre intérêt pour le lobbying ?

Anthony Escurat : Féru de politique, j’ai découvert le lobbying lors de mes études à Sciences-Po Aix. Nous étudions en fait les processus de décision et, plus largement, l’élaboration de la norme. Je me suis dès lors passionné pour ce côté certes un tantinet austère de la science politique mais pourtant ô combien important. J’y ai découvert, à travers de nombreux travaux scientifiques tout d’abord (Offerlé, Grossman, Saurugger, Attarça, Rival, etc.), qu’il existait autour des acteurs publics pléthore d’autres protagonistes parties prenantes de la fabrication de la loi et dont l’influence était bien souvent aussi méconnue que substantielle. J’ai aussi constaté que l’État était lui-même un grand lobbyiste (à travers les études réalisées par Cornelia Woll notamment). Enfin, dans le cadre de mes fonctions professionnelles, j’ai actuellement la chance d’avoir pu passer de l’autre côté de la barrière et mener à mon tour des actions de lobbying.

Bien qu’il demeure un véritable tabou en France, le lobbying constitue pour autant un traceur de la décision publique, inhérent à la démocratie. Je considère qu’il est indispensable de le réguler davantage mais aussi de le démystifier afin de mettre un point final aux fantasmes qui l’entourent.

– Vous dressez quelques pistes dans votre note pour la Fondapol pour une réforme du lobbying en France, pouvez-vous nous les résumer ?

Il est tout d’abord intéressant de battre en brèche une idée assez largement répandue dans l’inconscient collectif : les pays où la présence des lobbyistes est la plus importante sont généralement ceux disposant des cadres juridiques à la fois les plus anciens et les plus contraignants.

Ainsi, les États-Unis, temples du lobbying, sont le premier pays au monde à avoir réglementé les activités d’influence à la fin des années 1940, et font aujourd’hui encore référence en la matière. Le Canada, le Royaume-Uni, l’Irlande mais aussi l’Union européenne ne sont pas en reste et ont développé ces dernières décennies des arsenaux réglementaires importants.

En dépit de quelques avancées ces dernières années, le cadre réglementaire français reste quant à lui très lacunaire. En encadrant uniquement le jeu parlementaire, ces règles font abstraction des autres lieux de pouvoir autour desquels gravitent les lobbies : cabinets ministériels, administrations centrales et autorités administratives indépendantes au niveau national, ainsi que, sur le plan local, services déconcentrés de l’État et collectivités territoriales notamment.

Les enjeux ne sont pourtant pas minces puisque – certes à des degrés variables – le lobbying y est omniprésent. Des études ont en effet démontré que les lobbyistes français ne passeraient pas plus de 30% de leur temps au Parlement. La réglementation des arènes politiques auxquels les représentants d’intérêt consacrent les 70% restants – soit la majorité de leur activité – reste donc encore largement à écrire.

En quelques lignes, je propose dès lors de charger la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) d’une mission de contrôle et de surveillance du lobbying et, sur le modèle québécois, de nommer en son sein un vice-président dédié. L’objectif est simple : renforcer la transparence dans les relations entre représentants d’intérêt et titulaires de charge publique (élus et hauts fonctionnaires) et permettre à la Haute Autorité, en tant qu’organe désormais référent en la matière, de prendre des sanctions le cas échéant envers les acteurs publics et privés parties prenantes.

Ensuite, il convient d’étendre l’ « empreinte normative » mise en place par l’Assemblée nationale au Sénat ainsi qu’au gouvernement. Cela se traduirait par la création d’un registre des lobbyistes, la mise en place d’un code éthique et d’un règlement intérieur pour l’ensemble des cabinets ministériels mais aussi pour les autorités administratives indépendantes ainsi que certaines directions des administrations centrales des ministères. Idem pour les services déconcentrés de l’État dans nos territoires ainsi que les collectivités territoriales, véritables « no man’s réglementaires » actuellement.

Enfin, du côté des lobbies, je propose notamment sur le modèle des dispositifs mis en place par la Commission européenne et les États-Unis, d’imposer aux représentants d’intérêt accrédités auprès des différentes institutions publiques de déclarer de bonne foi les dépenses engagées pour leurs activités d’influence, tous types de financements publics perçus ainsi que, dans le cadre de cabinets spécialisés, la liste des clients pour lesquels ils opèrent.

– Selon vous pourquoi le lobbying souffre-t-il d’une mauvaise image en France au contraire des pays anglo-saxons ?

La mauvaise image accolée au lobbying en France est très ancienne. À la différence de l’approche anglo-saxonne, la France demeure encore aujourd’hui extrêmement rétive à la participation des lobbies dans la fabrication de la loi et la définition du bien commun. Selon la conception tricolore, seuls les élus – uniques récipiendaires de l’onction démocratique – en constituent les dépositaires légitimes, s’arrogeant au côté de l’État le monopole de l’intérêt général.

Cette aversion franco-française pour le lobbying est le fruit d’un héritage historique et politique ancien et encore très ancré dans nos esprits. Influencée par la vision de Jean-Jacques Rousseau et déjà vivace au Moyen-Age, la conception hexagonale voit dans les associations d’individus un danger pour la démocratie ; la manifestation des intérêts particuliers dans le processus décisionnel étant perçue comme une entrave à l’intérêt général susceptible, en outre, d’agir concurremment à la puissance publique. Un crime de lèse-démocratie dans l’Hexagone !

Rappelons néanmoins qu’à l’origine les pays anglo-saxons et la France partageaient une même défiance à l’égard du lobbying ; une pratique présumée coupable d’altérer la bonne marche de la démocratie. Mais contrairement aux Français avec lesquels ils partagent cette défiance originelle, les Anglo-saxons ont rapidement décidé de faire de cette menace une opportunité en intégrant les groupes d’intérêt au cœur du système démocratique. De cette approche pragmatique a alors émergé une véritable doctrine de gouvernance qui favorise l’expression de la diversité de la société civile tout en permettant, parallèlement, à l’État de se délester du monopole de la définition du bien commun. Le lobbying constitue dès lors un mode de représentation légitime des intérêts particuliers pour les Anglo-saxons.

Ce qui est frappant dans les premières lignes du projet de loi « Sapin II », c’est que le lobbying n’y est absolument pas défini et qu’il demeure manifestement frappé du sceau de la suspicion. La vieille tradition française semble donc fortement enracinée. Il est temps de faire évoluer les esprits et de comprendre que le lobbying – s’il est régulé bien entendu – n’a rien d’infamant et qu’au-delà de ça il est consubstantiel à la démocratie.

Biographie :

Anthony Escurat est diplômé de Novancia, de l’Université Lyon 3 puis de Sciences Po Aix. Il a effectué différents stages à l’ambassade de France en Algérie, à la présidence de la République ainsi qu’à l’OCDE. Après avoir travaillé au sein des groupes Mazars et CMA CGM, il est désormais responsable de la communication et des relations institutionnelles d’un syndicat professionnel et, en parallèle, doctorant en science politique à Sciences Po Aix. Il écrit également régulièrement des articles à caractère économique et politique dans différents médias (Les Échos.fr, Le Figaro.fr, La Tribune, Atlantico, Le Temps, Le Quotidien d’Oran…). Passionné par le continent africain et le monde arabe, il a vécu trois ans à Alger et a travaillé dans l’humanitaire au Ghana et au Togo.