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Pourquoi vous devez repenser vos stratégies d’influence

Dans ce nouveau numéro de « Lobby or not Lobby », l’émission dédiée aux stratégies d’influence, le journaliste Simon Janvier et Mathieu Quétel, président de Sountsou – Affaires Publiques, expliquent les raisons pour lesquelles, il est grand temps, pour les entreprises et les Fédérations professionnelles, de revoir leurs stratégies d’influence.

Vous pouvez lire la retranscription de l’interview ci-dessous, ou écouter le podcast de l’émission en cliquant ici.

Simon Janvier : Bonjour et bienvenue pour ce nouveau rendez-vous de « Lobby or not lobby » avec Mathieu Quétel, président de Sountsou – Affaires Publiques. Mathieu, bonjour, aujourd’hui, vous souhaitez attirer l’attention des chefs d’entreprise sur la nécessité de revoir leurs stratégies d’influence.

 MQ : Bonjour Simon. En effet, trop de pratiques désuètes restent de mise dans les stratégies d’influence. Or, je suis convaincu que pour être efficace, aujourd’hui, il faut adopter de nouvelles pratiques pour s’adresser aux élus et aux décideurs politiques.

De quelles pratiques désuètes parlez-vous. Vous pouvez peut-être nous en dire plus ?

Je rencontre encore trop souvent des personnes qui pensent, sincèrement d’ailleurs, que rencontrer un député est un acte d’influence en soi. Or, le rendez-vous n’est qu’un aspect d’une stratégie d’influence bien construite. Fréquemment, des chefs d’entreprise ou des dirigeants de Fédération professionnelle m’expliquent « je connais bien tel député ou tel ministre, niveau influence on est au point ».  De la même manière, nombreux sont ceux à fonctionner encore au carnet d’adresse, ou, pire, au name dropping, on croit connaître toute sorte de décideurs, et donc être en mesure d’influer sur les décisions. Pourtant, rien n’est moins sûr.

On sait tout de même que l’essentiel du lobbying consiste à la mise en relation entre ceux qui décident et ceux qui vont subir ces décisions et qui souhaitent les orienter, il s’agit donc bien de l’utilisation de carnets d’adresse bien fournis.

Je ne vais pas prétendre ici que ces méthodes n’existent plus ou n’existeront plus. Néanmoins, depuis plusieurs années déjà, la perception des politiques à l’égard des représentants d’intérêts a évolué. Les élus ne sont pas forcément hostiles aux lobbyistes et à leurs demandes, ils sont bien plus exigeants. Ils demandent des faits, des données transparentes, ils sont à la recherche d’un échange équilibré et, si possible, en confiance. Or, les méthodes qui consistent à travailler au relationnel sont déphasées par rapport à cette nouvelle génération d’élus. Eux, ils font le job qui consiste à voter la loi, à prendre des décisions, ils sont de moins en moins concernés par une vision strictement carriériste de leur mandat.

On sait tout de même que notre pays fonctionne beaucoup au relationnel et qu’il y a des spécialistes de l’entregent pour ne pas dire de l’entre soi.

Je suis d’accord avec vous. Il est exact que le métier des cabinets d’influence consiste de plus en plus à lutter contre ces coteries qui se sont organisées au fil des années, parfois au niveau de territoires, parfois dans des secteurs d’activité, ou encore au sein d’administrations. Justement, ce nouveau métier des lobbyistes qui consiste alors à déconnecter des relations trop proches entre certains intervenants d’un secteur d’activité et des autorités administratives par exemple, est un phénomène qui traduit un changement d’époque. Tout comme l’apparition de la nécessité d’adopter un lobbying « incarné ».

Qu’est-ce que le lobbying « incarné » ?

Et bien, auparavant, l’essentiel du travail des cabinets de lobbying consistait à hanter les couloirs feutrés du parlement, des ministères ou des administrations pour le compte de leurs clients. Ces missions existent toujours, des cabinets en ont fait leur spécialité, mais apparaissent de nouvelles méthodes qui transforment le cabinet d’influence en accompagnateur et concepteur stratégique, il n’intervient donc plus en interface entre les décideurs publics et les entreprises. Il conçoit les stratégies d’influence, il détecte les bons interlocuteurs, il imagine des outils créatifs pour communiquer sur le plan institutionnel, en dehors des traditionnels Livres Blancs, par exemple, que personne ne lit. Quant au dirigeant d’entreprise ou de Fédération professionnelle c’est bien lui qui monte au front pour les rendez-vous avec les élus. Les échanges sont forcément différents qu’avec un lobbyiste pur sucre. Ils sont teintés de passion et d’une forte empathie.

C’est tout de même le lobbyiste qui va organiser les rendez-vous et mettre les uns et les autres en relation ?

Il s’agit là d’une vieille conception qui me semble dépassée. La grande majorité des entreprises et des Fédérations professionnelles ont une légitimité telle, que rencontrer des décideurs publics n’est vraiment pas un sujet pour elles. Elles n’ont besoin de personne pour organiser des rendez-vous et les obtenir. En revanche, là où elles peuvent avoir besoin d’aide c’est vraiment au niveau de la réflexion à mener sur leur stratégie d’influence, trouver le bon positionnement, identifier les interlocuteurs, savoir quoi et comment le demander et le négocier. Ce travail particulier, à haute valeur ajoutée, me semble être la véritable mission du cabinet d’influence d’aujourd’hui.

Ce sont des missions qui ont toujours existées dans les stratégies d’influence, rien de vraiment nouveau, non ?

Oui, mais elles ont eu tendance à s’industrialiser. Livres blancs, rédaction d’amendements, cartographie d’élus sont devenus des fonds de commerce faciles. Quand on ne voyait pas certains se spécialiser dans la gestion de pseudos « clubs parlementaires » ou encore de colloques ou petits-déjeuners ou déjeuners thématiques divers. Ces méthodes, outre qu’elles me semblent désuètes, mettent désormais inutilement en risque les clients car médias et réseaux sociaux sont attentifs à ce qui est communément admis comme étant des dérives. Les parlementaires savent rédiger des amendements, s’ils souhaitent déjeuner avec un dirigeant économique, c’est très simple pour eux. Je ne parle même pas des cadeaux. Encore récemment un secteur d’activité et des députés ont été montrés du doigt pour des invitations ou des bouteilles de champagne, sans grande valeur vénale mais à haut risque médiatique !

C’est donc toute la stratégie d’influence qui doit être revue de fond en comble ?

En tout cas, il faut tenir compte de l’évolution des élus et de la sensibilité de nos concitoyens. On attend plus de transparence, moins de connivence et, surtout, une expertise accessible et démontrée. Les manipulations qui ont pu être opérées dans les années 90 dans certains secteurs et qui font l’objet de révélations régulières, sont extrêmement dangereuses pour les entreprises et pour les élus dont elles atteignent la déontologie et l’éthique. Or, pour défendre ses intérêts l’entreprise, doit être crédible, pour voter sereinement des lois, acceptées par tous, l’élu doit être irréprochable.

Merci, Mathieu, pour ce tour d’horizon de ce qu’il convient, selon vous, de changer dans les stratégies d’influence des entreprises et des Fédérations professionnelles. Je rappelle que vous êtes le président de Sountsou-Affaires Publiques. Nous vous retrouvons très vite dans un prochain numéro de « Lobby or not Lobby ».