L’actu

Jour : 11 février 2016

Le lobbying enfin reconnu 

Mediapart dévoilait la semaine dernière les grandes lignes d’un vaste projet de loi en préparation à Bercy sur la transparence de la vie économique et la lutte contre la corruption qui vise à insuffler transparence et bonnes pratiques dans le métier de lobbyiste. On ne peut que se féliciter d’une telle initiative.

Le lobbying suscite trop souvent une forte réserve alors qu’il constitue un élément essentiel à la fois du débat démocratique et de l’entreprise. Le monde économique a besoin d’être compris du politique, il doit pour cela mieux communiquer avec les décideurs politiques et leur donner les informations utiles à la prise de décision. Pour être efficace, il est essentiel que chacun sache d’où parle l’autre et quels sont les intérêts qu’il défend. En ce sens, l’existence d’un registre obligatoire présente un intérêt certain.

Les bonnes pratiques posées dans le projet de loi semblent évidentes. Surtout, elles révèlent  l’existence de dérives incontestables qui ont encore pignon sur rue et qui font du mal à la profession de lobbyiste ainsi qu’aux entreprises en général, systématiquement désignées dans les médias comme prêtes à tout pour faire évoluer les lois dans le sens de leurs seuls intérêts, forcément dévoyés.

De nombreux entrepreneurs confrontés à leur méconnaissance du monde politique ainsi qu’à la mauvaise image des lobbyistes, hésitent encore à se lancer dans une démarche institutionnelle. Ils n’ont pas encore pris conscience que celle-ci s’impose au même titre que la présence à leur côté d’un expert comptable, d’un service de R&D ou encore de communication.

Le lobbying est un véritable outil au service du dirigeant qui lui permet de mieux appréhender son environnement institutionnel au sens large et d’interagir avec lui. Tout entrepreneur, dont l’activité dépend de la décision publique, devrait prendre conscience de la nécessité de se doter d’une réelle démarche adaptée basée sur une véritable stratégie.

Gageons que ce projet de loi, défendu par Michel Sapin, qui sera présenté dans quelques semaines en Conseil des ministres participera à la prise de conscience collective de l’urgence qu’il y a pour le monde économique à entrer positivement en contact avec les décideurs politiques.

Mathieu Quétel, président de Sountsou, auteur de la Collection Les Cahiers Experts, le nouveau numéro « Présidentielle 2017 : 10 conseils pratiques pour faire entendre la voix des entrepreneurs » est disponible en téléchargement ici.

À quoi sert la Cour des comptes ?

La République est riche de toutes sortes d’Assemblées et d’outils dont la mission est de produire des rapports qui ne semblent destinés qu’à caler les lourds bureaux du mobilier national. Février est ainsi traditionnellement le mois de la publication du rapport annuel de la Cour des comptes qui pointe les dérives en tout genre de l’État mais risque fort de rejoindre ses prédécesseurs aux archives.

Les magistrats de la Cour des compte se montrent sceptiques dans leur rapport annuel, publié le 10 février, quant à la capacité du gouvernement à respecter ses engagements en matière de déficit public. La Cour partage donc l’avis du FMI, de Bruxelles et, plus généralement, de tous les experts. Les magistrats financiers soulignent les options prises par le gouvernement pour bâtir son budget qui se révèlent plus qu’aléatoires : surévaluation du PIB, sous-évaluation des dépenses publiques et sur-évaluation des recettes fiscales. Bref, le gouvernement a proposé un budget un peu « truqué ».

Les méthodes expéditives des majorités de la Vème République pour construire leurs budgets, surtout depuis qu’elles subissent la pression de Bruxelles, sont bien connues et dénoncées chaque année par la Cour des comptes. Mais, année après année, il ne se passe rien, ou presque.

De même le rapport annuel de la rue Cambon détaille les dérives de plusieurs mesures gouvernementales. Cette année il met l’accent sur l’échec flagrant du contrat de génération, une mesure phare du quinquennat de François Hollande. Ce dispositif est élégamment qualifié « d’insuccès » par la Cour pour mettre en évidence une bérézina : 40.000 contrats signés en juillet 2015, contre 220.000 attendus à cette date et 500.000 pour 2017.

Les investigations des magistrats de la Cour des comptes vont beaucoup plus loin et le rapport, comme chaque année, est une mine d’informations. On apprend ainsi la situation des théâtres nationaux qui pâtissent notamment de l’absence de direction de la part du ministère de la Culture. La Cour pointe une gestion hasardeuse, des méthodes de nomination opaques et une mobilisation de fonds publics colossale avec une absence quasi-totale de contrôle.

Quant aux transports en commun de l’Île de France, ils subiraient, selon la Cour, l’absence d’investissements de la part des gouvernements, de la SNCF et de RFF depuis trente ans. Ils seraient aujourd’hui au bord de la rupture. À la lecture du rapport de la Cour sur les transports ferroviaires, on comprend mieux la situation subit par des millions de voyageurs franciliens : des installations vétustes, un réseau saturé, un besoin de financement de 50 milliards d’euros non financé…

Autre exemple, le fameux logiciel de paie de la Défense, Louvois, pourtant abandonné depuis 2013, qui continue de semer la pagaille dans les feuilles de solde des soldats français. Les services de paie du ministère de la Défense recevraient, selon la Cour, 5000 réclamations par mois et la vérification des paies nécessiteraient jusqu’à 45.000 vérifications manuelles mensuelles. Un coût exorbitant. Les magistrats dénoncent depuis plusieurs années ces dysfonctionnements. Ils annoncent également que le nouveau logiciel, Source Solde, qui devrait prendre le relai en 2017, risque fort de ne pas faire mieux…

Chaque année, la Cour des comptes attire l’attention sur ces errements de l’État (voir notre rubrique « chiffres-clés ») et on a le sentiment que rien ne se passe. L’État semble engagé dans une lente et inexorable dérive de ses dépenses.

Ce n’est pas la Cour des comptes qui est inutile, ce sont ses missions qui sont incomplètes. Le gouvernement devrait avoir obligation de suivre certaines de ses recommandations et de prendre les décisions adéquates rapidement. Une piste de plus dans la longue liste des réformes à mettre en oeuvre dans la perspective de 2017 ?

Présidentielle : une grande enquête inédite 

Le Centre de recherches politiques de Sciences Po a lancé un grande enquête inédite dans la perspective de la présidentielle en association avec le journal Le Monde et réalisée par Ipsos-Sopra. Une mise d’or.

L’initiative du Cevipof est  inédite. Il s’agit d’observer les évolutions d’un échantillon de 20.000 personnes entre décembre 2015 et juin 2017 sur différents indicateurs dont leur perception des candidats. La seconde vague de l’enquête a été publiée dans le journal Le Monde du 10 février, elle est présentée comme « un état du terrain avant la bataille ».

75% de l’échantillon se déclare intéressé par la présidentielle de 2017. Il s’agit d’un très bon résultat qui n’est pas surprenant. En effet, si les Français semblent de plus en plus agacés par les comportements de leurs dirigeants, il n’est pas évident qu’ils se désintéressent vraiment de la politique. Ils sont conscients de l’importance de celle-ci dans leur vie quotidienne et mesurent bien la nécessité d’entamer des réformes. La présidentielle puis les législatives sont donc des rendez-vous importants dans cette perspective.

L’attrait pour la primaire de la droite et du centre suscite logiquement un fort intérêt puisque 6,6% des personnes interrogées se déclarent d’ores et déjà certaines de participer à ces primaires. La suite de l’enquête révèle l’importance de la primaire puisque les chances de François Hollande évoluent considérablement selon son adversaire de la droite et du centre.

En effet, face à François Fillon le président sortant pourrait espérer se qualifier pour le second tour, il obtiendrait 20% des voix contre 19% à son adversaire des Républicains. Nicolas Sarkozy en revanche le devancerait avec 21% contre 20%. Néanmoins, ces résultats apparaissent très serrés et la campagne pourrait faire bouger les lignes.

Alain Juppé monterait à 31% dès le premier tour distançant très nettement François Hollande à 18% ainsi que Marine Le Pen qui obtiendrait 25% des voix. Alain Juppé est du reste le seul en mesure d’affaiblir la candidate du FN qui s’imposerait à la première place du premier tour face à Nicolas Sarkozy et François Fillon. Dans ces trois cas de figure, François Bayrou serait candidat, comme Cécile Duflot, Jean-Luc Mélenchon et Nicolas Dupont-Aignan.

Cette enquête montre le fort leadership d’Alain Juppé. En creux elle invalide également la stratégie de Nicolas Sarkozy de jouer la campagne à droite. L’une des surprises, à ce stade de la campagne des primaires à droite, vient du bon résultat d’Alain Juppé face à Marine Le Pen qu’il réussit à affaiblir. Sans doute est-il en mesure de séduire certains déçus de la politique qui envisageraient de voter FN au premier tour.

Il sera intéressant d’observer les mouvements des prochaines vagues de cette enquête passionnante tout au long de ma campagne interne à la droite dans les prochains mois. Des candidats qui font encore figure d’outsiders pourraient finir par s’imposer. Gageons que les rebondissements pourraient se succéder.

Lobbying : le double jeu de Uber 

Rebondissement dans la guerre VTC/taxis, le gouvernement réussit l’exploit de mettre dans la rue les « Loti » et Uber est à la manoeuvre pour organiser un lobbying de rue inédit du côté des VTC. 

La raison de la colère des « Loti » est la décision de Manuel Valls de mettre fin à la tolérance réservée au statut de chauffeur de transport collectif, régi par la loi d’orientation des transports intérieurs (Loti). Celui-ci accorde à son titulaire le droit de transporter un groupe de moins de 10 personnes mais de plus de deux personnes. Avec l’apparition des plateformes comme Uber, ce statut a été détourné pour transporter une personne en utilisant les applications de VTC.

Ce statut s’obtient par le biais d’un examen différent de celui des VTC, mais il est moins coûteux et surtout il n’impose pas les 250 heures de formation. Les taxis ont donc obtenu du Premier ministre la fin de la tolérance qui avait permis à de nombreux chauffeurs « Loti » de se lancer dans le VTC ces derniers mois.

En vérité, un faux sujet. Si elle permet de donner un signe de bonne volonté gouvernementale aux taxis, la décision de Manuel Valls met surtout en difficulté les chauffeurs « Loti » qui ne cherchent qu’à travailler et ne constituent certainement pas le fond du problème de la crise des taxis.

Avec la fin de cette tolérance, le gouvernement n’a réussi qu’à créer un nouveau foyer de tensions, cette fois avec les « Loti ». En sous main, Uber organise la résistance en évitant d’appeler directement ses conducteurs à descendre dans la rue. Néanmoins, le géant américain a adressé à ses clients un message pour les informer que sa plateforme serait interrompue le 9 février entre 11 heures et 15 heures « en signe de soutien » aux chauffeurs qui auraient été nombreux à solliciter Uber pour les aider.

Parallèlement, Uber lançait le hashtag #laissezlestravailler afin de poursuivre la pression sur le gouvernement par le biais de Twitter. Le journal La Tribune révélait le 8 février, que la plateforme américaine aurait proposé à ses chauffeurs un forfait d’indemnisation de 100 € pour les soutenir dans la manifestation et compenser (en partie) la perte de chiffre d’affaires.

Ainsi, Uber poursuit sa stratégie de différenciation par rapport aux taxis, tout en se lançant dans le lobbying de rue via les « Loti » qui restent mobilisés en se relayant pour manifester.

Lobbying : Bercy veut plus de transparence

Bercy prépare un projet de loi qui devrait être présenté dans les prochaines semaines en Conseil des ministres afin de mieux encadrer les pratiques des « représentants d’intérêts », c’est à dire les lobbyistes.

Ce projet de loi, révélé par Mediapart, dit « Sapin II », sur la transparence de la vie économique et la lutte contre la corruption crée l’obligation de s’inscrire sur un registre public pour tout lobbyiste en relation avec des cabinets, des ministres, des hauts fonctionnaires et l’Elysée, il pose également des règles pour de bonnes pratiques.

Le registre national obligatoire concernera tous les représentants d’intérêts qui souhaitent entrer en contact avec des représentants du gouvernement, leur cabinet, les autorités indépendantes ou encore certains hauts fonctionnaires. Il ressemblera à ce qui existe déjà au Sénat et à l’Assemblée Nationale, mais ceux-ci ne sont pas obligatoires. Pour le moment les associations cultuelles et les partenaires sociaux seront exemptés.

Les bonnes pratiques préconisées par le projet de loi dessinent un paysage actuel encore largement traversé par des méthodes qui relèvent du « lobbying à la papa ». Ainsi les lobbyistes auront ils désormais l’obligation de dévoiler l’identité de leur client, de s’abstenir d’offrir des cadeaux de valeur significative, de fournir des informations trompeuses, de revendre à des tiers des documents du gouvernement, d’organiser des colloques avec des prises de paroles rémunérées dans des bâtiments administratifs…

Le dispositif sera placé sous le contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) qui aura le pouvoir de sanctionner les dérapages déontologiques par des sanctions assez symboliques comme des mises en demeure ou des amendes pouvant atteindre 30.000 €.

Ce projet de loi est utile puisqu’il permet d’une certaine façon d’officialiser le métier de lobbyiste et d’encourager les bonnes pratiques. Il s’agit d’une forme de reconnaissance du métier de lobbyiste qui est utile à la vie démocratique lorsqu’il est pratiqué avec transparence (lire sur le même thème notre éditorial).